Nous avons laissé volontairement le champion paralympique de Tokyo se reposer et se reconstruire à son rythme depuis la finale du 400 du 3 septembre à St Denis. La déception est passée et Charles-Antoine Kouakou a repris sa vie. Moins trépidante qu'en 2021 où son retour avait été un tourbillon de remises, d'honneurs et de réceptions. Nous avions alors accompagné le jeune jardinier de l'ESAT de Drancy dans une série de conférences débats où le champion est sorti de sa timidité pour faire connaissance à un autre monde. L'homme à 26 ans a muri et s'exprime tranquillement avec du recul mais en gardant une part de naïveté propre à sa jeunesse. Cette complicité lui permet de s'ouvrir, de poser ses mots sur les moments forts mais aussi délicats de Paris 2024. Son rêve de conquête de l'or est passé. il s'en explique. Nous avons regroupé cette longue interview qui a vite dévié sur une conversation naturelle. Nous avons sélectionné les paroles de CAK, sans les embellir, dans des thèmes.
Le plus important n'est pas à notre avis de chercher les raisons techniques de cet échec mais de conserver ce lien qui nous a uni avant son olympiade de Tokyo. Le grand athlète d'Antony 92 a besoin de repères pour se reconstruire, de tranquillité aussi. Passer de la lumière à l'ombre n'est pas chose facile pour le commun des mortels. Ce lien amical est une attache pour d'autres objectifs que va élaborer CAK pour penser sereinement à l'avenir et aux objectifs sportifs.
" Juste après la finale de St-Denis j'ai eu besoin de repos car la préparation a été sérieuse avec Vincent mon entraîneur. Je viens de partir une semaine en Normandie à Rouen chez Fred (Drieu son entraîneur du Pôle France). Cela m'a fait du bien, de voir d'autres personnes. On a fait de la plongée sous-marine car il est moniteur. J'aime bien l'eau et c'est chouette d'aller au fond d'une piscine. Mon corps avait besoin de repos. J'ai tout donné pour Paris et il faut qu'il se repose aussi.
J'ai repris mon travail à l'ESAT lundi 23 septembre en retrouvant des copains qui étaient contents de me voir. Certains sont venus me voir courir à St-Denis et les autres ont suivi la finale à la télé. C'est bon de discuter avec des potes qui vous aiment bien. J'ai vu plein de personnes lors de la finale dont mon ancien directeur de Drancy Jean-Michel Turlik, ma première éducatrice sportive de l'IMED Ladoucette. Pour moi c'était un grand moment, des émotions aussi. Là, j'ai repris ma vie chez mes parents en regardant la télé et en jouant parfois à la PS 4. Tu te rappelles que tu m'avais emmené affronter le champion du monde de jeu vidéo à Torcy ? (on lui rappelle aussi le score, CAK rit)
Le souvenir le plus fort reste quand j'ai été choisi pour allumer la vasque. C'était une surprise. J'avais porté la flamme chez moi à Drancy où je travaille et j'avais fait la connaissance de Tony Estanguet mais là c'était grand, très grand pour moi. J'étais dedans et avec mes quatre camarades ont s'est approchés pour allumer le grand ballon qui s'est envolé dans le ciel de Paris. Je m'en rappellerai toute ma vie. C'était beau. Je n'ai pas eu peur, j'étais bien sur mon nuage. Il y avait du monde, des appareils photos et encore plus devant la télé dans le monde entier. Nous sommes rentrés ensuite avec Vincent. J'avoue que j'ai rêvé de ce moment dans mon lit. Oui j'ai du rêvé de cela la nuit. C'était si beau.
J'ai été surpris qu'il n'y a pas eu de demi-finale. Et hop, la finale directe. Je crois qu'une course avant comme à Tokyo aurait été mieux pour moi. Le départ a été retardé. Je me sentais à l'aise mais pas comme à Tokyo où j'étais bien aussi. A Paris j'ai voulu me mettre dans ma bulle pour me concentrer sur ma course. J'ai entendu le public qui scandait mon nom et tout va vite. Comme tous les autres je suis parti vite aussi, trop vite, beaucoup trop vite. J'étais bien aux 200 m et dans la ligne droite les jambes sont devenues lourdes et je n'avais plus de jus. Les derniers mètres ont été durs. J'ai été déçu et quand j'ai vu mon temps et aussi le temps du vainqueur je n'ai pas compris. Je voulais aller chercher un chrono et cette finale qui devait se courir en moins de 47 secondes a été lente. Tout le monde a payé le départ et moi aussi.
C'est pas facile, à Tokyo j'ai été champion et il n'y avait personne avec le COVID, là il y avait les copains, beaucoup de monde. J'ai été triste pour Vincent qui a toujours été avec moi. Lui aussi a été un peu déçu, tout le monde aussi d'ailleurs. C'est le sport. J4ai été content de voir autant de monde autour de moi après l'arrivée. On m'a félicité mais c'est dur à digérer pour moi. Après il y a eu la cérémonie sur les Champs-Elysées. J'étais avec les athlètes, Teddy Riner qui a allumé lui aussi la vasque, Marie-Jo Pérec que j'avais déjà rencontré, une fille super gentille.
(Aux côtés de son entraîneur Vincent Clarico CAK encourage sa copine Gloria)
J'étais dans le stade quand Gloria est passée au poids. Elle a effectué un super concours avec son jet à plus de 14 m. J'étais super content pour elle, je suis allée la féliciter elle était si contente. On s'amuse bien ensemble car nous sommes depuis longtemps ensemble dans l'équipe de France. Je suis vraiment heureux pour elle, c'est une fille sympa.
On va réfléchir. Vincent est en vacances. On n'a pas encore parlé de la suite. Je dois reprendre l'entraînement en décembre. Je fais quelques footings pour garder la forme. On avait tout fait bien. Moi je voudrais aller à Los Angeles. J'aurai 30 ans et pour un sprinter ce n'est pas âgé. J'ai eu la chance de faire deux Jeux, c'est bon pour moi car je sais ce que c'est. Je vais reprendre car en 2025 il y a les championnats d'Europe et du monde. Je vais repartir à l'entraînement. Nous avons aussi déménagé avec mes parents de la Porte de Vanves sur Montparnasse. C'est mieux. J'ai repris le travail. La vie continue. Je suis heureux car j'ai vécu quelque chose d'incroyable avec les Jeux. Je suis content, très content même. Cela a été un grand moment dans ma vie. "
Pascal Pioppi